L'oublié_notes04

L'oublié, texte n°3 (2015)

L'oublié en quelques mots.

L'oublié est un travail nostalgique sur la perte et sur le plaisir, c'est un travail sur l'incapacité à se souvenir et à se saisir, à se connaître, à connaître. C'est un travail de retenue également, assez simplement : retenir. Au final, c'est une mémoire photographique fictive, et le résultat raté d'une recherche de soi. Sublimé cependant par le plaisir de photographier et par la satisfaction de saisir quelque chose dans le regard que nous jettent quelques clichés chanceux.

On pressent quelque chose de notre épaisseur, mais on demeure étranger à soi-même. Il y a en soi un double tapi quelque part, mais c'est seulement un pressentiment. On est là, flottant, bousculé d'émotions, traversé de violence, sans véritablement savoir pourquoi. On devient quelque chose, de jamais achevé, de toujours continué, et on est incapable de replacer les choses dans la durée. On le fait, mais ce sont des légendes qu'on se raconte. Un semblant d'ordre. Un jeu de langage. Alors on espère que l'œil de l'appareil photographique décèle quelque chose. Dévoile une ombre. Perce un mystère. Espoir illusoire mais compulsif. Foi inébranlable en la machine et dans son aptitude à arrêter en une image fixe le flot des images mentales qui indéfiniment s'écoulent, pour que peut-être quelque chose de véritable en émerge.
L'image des proches, de la solitude, me semblent les plus à mêmes de dévoiler un ersatz de soi, si l'on existe dans le regard de l'autre. Le regard que l'on porte sur eux, sur le vide habité par nos seules pensées, devrait pouvoir dire quelque chose de soi. De son image idéale, sans doute, mais aussi de quelque chose de plus souterrain. Il y a cette citation de Fernando Pessoa : « Ce que nous voyons n'est pas fait de ce que nous voyons, mais de ce que nous sommes. »
L'oublié, c'est ce que j'ai pu être, mais aussi l'autonomie progressive des images par rapport à ce que j'ai tenté d'y inscrire. Elles incarnent une distance au temps et à soi. Le moment est enfui. Ne demeure qu'une image qui n'existe plus que pour l'évidence muette qui en émane. L'oublié est plein d'incertitudes. Je me plais à y cultiver l'ambivalence. Il y a une profusion d'images car je ne veux pas aller trop loin dans le choix des images. Je multiplie parfois les points de vue si ce que porte les images le demande. Et cela quand bien même leur juxtaposition pourrait réduire leur force respective. C'est un à-peu-prisme qui convient bien à l'échec annoncé de cette entreprise et au flou dans lequel on avance. Il y a également une tentative, dans cette profusion, à faire exister une complexité et la difficulté à cerner la conscience des choses qui nous traverse. Deux clichés pris à deux minutes d'intervalles restituent parfois une dualité qu'un seul cliché ne portait pas. Ils recréent un bout de séquence et posent les bases d'une temporalité fictive.
Car c'est finalement là que s'échoue ce projet : je redessine une mémoire fictive avec des images dont je ne sais plus grand chose, sinon l'émotion que j'ai en les regardant aujourd'hui. La seule chose qui sauve cette entreprise, selon moi, c'est qu'il s'agit de photos et non de mots. Et que cette absence de mots aménage des espaces de libertés, laisse des trous, pour permettre au flou d'exister. Je n'aurai pas su me saisir, mais j'aurai fait ça.