L'oublié_notes02

L'oublié, texte n°1 (2011)

Je prends des photos de tous les jours. C’est une sorte de nécessité qui m’ancre le temps d’une prise dans ce que je vis. Lien mystérieux. Au début, il s’agissait de justifier un voyage, de remplir une journée, de trouver le prétexte d’un lien laissant entrevoir un sens. Mais je n’ai jamais trouvé autant de satisfaction et de profondeur ailleurs que dans la photographie. Dans L’oublié, je m’interroge sur une raison possible de cette fascination pour ce geste indéfiniment répété.
J’aimerais débuter ici un travail sur la conscience. La fascination qui pousse sans cesse à prendre une photo pourrait s’interpréter comme une sorte de jeu instinctif avec la manière dont nous avons conscience des choses. Contrairement à l’image figée de la photographie, la conscience est sans cesse en mouvement, rebondissant indéfiniment d’une image mentale à une autre et envisageant chaque chose dans sa relation à un ensemble. Inversement, désincarner des éléments au sein de l’environnement dans lequel on est plongé, arrêter le temps qui nous déborde sont des choses étrangères à la conscience, mais propres à la photographie. Je passe un matin porte de Montreuil. La lumière se lève. Alors que j’entre dans le métro, je distingue la silhouette en contre-jour d’une femme enroulée dans un grand manteau. Trois hommes la bordent sur la droite. Le plan dure quelques secondes. Le regard le découpe au milieu d’un vaste ensemble sans parvenir non plus à isoler précisément ce qu’il voit. Puis tout s’efface.


L’oublié dans ces instantanés recouvre tout ce qui a concouru au désir de prendre la photo, jusqu’à la conscience que l’on pouvait avoir de soi. Il n’en reste que l’image, étroite et lointaine, face à laquelle on hésite à reconnaître le vécu. Une familière étrangeté émane de ces proches et des moments passés en leur compagnie. Et autre chose se dessine. Comme une dissociation, une expérience alternative de la conscience que l’on a pu avoir de ces moments.