Je suis
fatigué. J’ai faim. On descend du métro pour voler des sushis à la supérette de
la station. J’essaie de ne pas me faire voir de mon fils. C’est bien, il est un
peu plus loin. Je flippe, lui demande de choisir une viennoiserie. Il se met à
danser d’un pied sur l’autre, comme s’il n’osait pas choisir, par égard, pour
bien me montrer qu’il est honoré de cette largesse de ma part. La boîte
commence à glisser sous mon manteau. Je m’énerve. “Mais choisit un truc. Faut
prendre les trucs qu’on te donne! Pourquoi tu te tortilles comme ça?” J’essaie
de maquiller ma colère avec des adages éducatifs. Son coeur saute un battement.
Ca se voit. Je me revois. Je me reprends. Lui aussi. Un donut, parfait. J’en
prends un aussi. A la caisse l’alcoolique devant nous fait tomber une caisse de
chewing-gum. Je crois que c’est moi pendant un instant. Je les ramasse. Ca
tombe bien : la boîte sous le manteau le caissier me fait un clin d’oeil virile
et entendu. On retourne dans le métro. J. refuse de prendre l’escalator. Il a
peur de le prendre pour descendre. C’est nouveau. Je lui indique les escaliers
au milieu d’un geste à la fois las et autoritaire qui sous-entend sans l’oser
son incapacité et ma déception. Mais il ne les voit pas et fonce vers l’autre
escalator, celui qui monte. Je lui hurle dessus. On finit par descendre.
J’avale mon donut. Mon esprit revient un peu à lui. Je m’excuse. Ca le rassure,
mais le mal est fait. L’estomac noué je l’observe la mort dans l’âme grignoter
son beignet comme s’il était déjà rassasié. Il n’a plus faim. Mais il sourit.
Il me sourit. Comme s’il ne pouvait à mon égard que me donner l’entièreté de
l’amour dont il est fait. Comme s’il était livré pieds et poings liés, son amour
sur un billaud. J’aimerais me fendre la tête.