Invincible, insensible, bruyante, vivante, elle passe sous cette maison. Des pieds lui marchent dessus, des pieds lui marchent dedans, des mains se perdent, se brouillent et s’oublient. Elle crie : « Prends garde, je sais ! » Ton récit et tes chansons, tes vérités s’en vont et les mensonges se font. Tout s’en va vers ce même endroit. Pieds et mains dans le même courant. Ce cri de rage, ce bruit, un tumulte de joie, une oscillation limpide. Elle glace les mains, enlace le pied, te soulève, elle te décrasse mais tu l’ignores.
- « Je ne vous entends pas, la rivière gronde. »
- « Je viens d’enterrer ma mère ».
La rivière gronde encore, elle la connaît l’histoire de sa mère. Elle les connaît déjà toutes. Un pied dans l’eau, un doigt trempé, un regard plongé, elle traverse. Le récit, c’est elle qui le raconte, c’est elle qui l’emmène dans ses rires et ses pleurs. C’est le courant de l’eau, les moulins de ton esprit égaré. Toutes ces vies qui se parlent et se racontent en même temps. Qui coulent, glissent, reviennent, rebondissent, repartent et s’en vont.
Seuls les papillons savent écouter. Ces milliers d'existences contées. Car ils tournent au-dessus de l’eau, avides de ces vies qui font des millénaires quand la leur ne fait que quelques heures. Ils battent des ailes, vibrent et frémissent, ils vivent au travers. Leur vie en résonnance s’en va avec la rivière quand ils n’ont plus la force de voler et ne savent plus écouter. L’onde les prend dans la caresse de son courant.
Elle ne peut croire personne. Elle sait déjà.
(JLS/MM)